Rarement titre n’aura été si laconique, si explicite. Cédric, le
personnage central du premier roman de Jean-Claude Leroy n’a rien, ne
dit rien, existe à peine socialement, ou alors par intermittences, le
temps de quelques petits boulots ou stages, et glisse (inexorablement
seul) sur une pente où son esprit rebelle ne s’avère d’aucun secours.
Il fait partie – et cela se perpétue dans sa famille de père en fils
depuis quelques générations – des pauvres, des laissés pour compte,
errant sur les bas-côtés d’un monde dans lequel sa timidité naturelle et
son relatif manque d’entrain sont perçus comme des obstacles majeurs à
son intégration. Il galère, s’accroche, décroche, construit un semblant
de famille et quête des morceaux de bien-être qui ne durent jamais bien
longtemps.
Plus il tente de ressembler aux autres et plus il s’en démarque. Il
essaie pourtant « de faire vivant ». Rencontre une femme puis une
seconde. Se retrouve père d’une petite fille qu’il ne verra bientôt
plus. Tout semble lui répéter (lui-même se le martèle) qu’il est né pour
perdre. Et il est vrai que la descente, qui va s’accélérer dès qu’il
aura testé l’efficacité de l’alcool pour anesthésier sa souffrance,
semble amorcée depuis son plus jeune âge.
« De par son isolement, tout lui devient difficile : ses tremblements, sa malléabilité, son angoisse. »
L’alcool, il s’y adonne sans compter. Et chute de façon radicale,
vertigineuse, vivant désormais dans la rue, logeant dans des cabanes de
fortune ou dans des wagons désaffectés et côtoyant des compagnons de
trottoirs aussi désemparés que lui.
« Cédric a honte de sa faiblesse, il voudrait s’extraire de cette
nasse, et c’est beaucoup de combats à mener en même temps. Trop pour
lui. L’angoisse le tenaille, si bien qu’avant le premier verre avalé il
n’ose pas sortir dans la rue, reste prostré. »
Derrière l’itinéraire effrayant que suit pas à pas, d’une manière presque clinique, Jean-Claude Leroy,
avec une fluidité d’écriture qui ne se relâche jamais, pointe une
réalité sociale aux effets dévastateurs. Ce
n’est pas la misère elle-même, ou l’éviction d’un homme n’ayant pas
emmagasiné assez d’énergie pour s’affirmer, qu’il explore mais le lent,
l’implacable processus qui rejette et anéantit avec froideur celui qui
tente de se démarquer pour se construire seul, à partir de ses manques,
en ne nourrissant pas d’autres projets que celui d’une vie menée au jour
le jour, loin de sa famille, et tout aussi loin des règles dictées par
la collectivité.
Ce sont des solitaires de cet acabit que l’on croise également dans
les récits et nouvelles que l’auteur a précédemment publiés chez le même
éditeur. Il en dresse à chaque fois des portraits sensibles et
psychologiques subtilement nuancés, s’attachant d’abord à leur
discrétion et à leur humanité dans un monde qui ne tourne pas rond et où
leur (indocile) singularité n’a pas droit de cité.
Jean-Claude Leroy : Rien seul, éditions Cénomane.
Jean-Claude Leroy : Rien seul, éditions Cénomane.
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