Des
plaques de goudron fondu brillaient sur la chaussée. Les graviers
crissaient sous les pneus. Faut faire gaffe, disait Paulo, qui
conduisait clope au bec, on est chargé comme des mules, on peut
chavirer dans n'importe quel tournant. Il hurlait pour couvrir le
bruit du moteur. Coincé entre deux piles de couvertures à
l'arrière, j'entendais résonner sa voix dès qu'il ouvrait la
portière en sortant la tête hors de l'habitacle. Il faisait cela
après chaque virage, pour vérifier la bonne tenue du chargement. Il
gueulait, se raclait la gorge, crachait et s'en prenait à la
chaleur, à la poussière, au manque de flotte. On va tous crever si
ça continue, disait-il. Son camion peinait dans les côtes. Le
soleil étincelait sur la tôle des hangars. Les faneuses
s'activaient dans les champs. Les ronces et les herbes folles
pendaient du haut des talus jusqu'au bord des routes.
J'avais
à peine cinq ans. Il m'en reste quelques souvenirs. Des silhouettes,
des scènes mal cadrées. Un type avec une fourche à l'épaule. Un
autre, nus pieds dans des sabots emplis de paille, marchant en tenant
un cheval par la bride. Je me souviens surtout des cahots et des
embardées du véhicule. Des jurons du conducteur. Du camion bleu,
avec tables et chaises empilées au-dessus des matelas et des deux
buffets démontés, terminant son périple en se garant en marche
arrière dans la cour. De mon père tendant les bras pour m'aider à
descendre. De mes jambes flageolantes et de mes premiers pas
hésitants sur le sol sec. Il devait être six heures du soir.
C'était la fin du voyage de déménagement. Et le début d'une
nouvelle aventure. Avec comme point de départ Liscorno, village bâti
en terrasses, à flanc de coteau, comptant trois à quatre dizaines
de maisons et plusieurs bâtiments de fermes. L'endroit, tel que je
l'ai mémorisé ce jour-là, dans la moiteur de l'été 1958,
semblait presque silencieux. On percevait le long bourdonnement des
mouches et des abeilles. Au loin, une scie électrique. Et de ci, de
là, le chant d'un coq à l'horloge déréglée, un aboiement rauque,
quelques beuglements de vaches.
Liscorno, éditions Apogée, 2014.
Voir sur le site de l'éditeur : Liscorno
Notes de lecture :
Eric Dussert sur l'Alamblog
Dominique Dussidour et Laurent Grisel sur Remue.net
Philippe Annocque sur Hublots
Marc Villemain sur son blog
La librairie Ptyx à Bruxelles sur son site
Marie-Hélène Prouteau sur Terres de femmes
Alain Roussel sur le blog La Pierre et le Sel
Yvon Bouëtté sur le blog Eireann
Pierre Tanguy sur le site Recours au poème
Antoine Emaz sur Poezibao
Gilles Cervera sur le site Bretagne Actuelle
Jacques Morin sur Texture
Denis Heudré dans le magazine Glaz
Albert Bensoussan dans La Quinzaine Littéraire
Agnès Le Morvan dans Ouest-France
Entretien :
Avec Matthieu Dubois sur Radio Univers
Merci pour la dédicace, et ravis d'avoir fait votre connaissance !
RépondreSupprimerMerci pour votre petit mot. Et à bientôt !
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