Les trucs sont démolis permet enfin de rendre la poésie de Paol Keineg lisible dans la durée. En 400 pages, cette anthologie, qui court de 1967 (année de publication du Poème du pays qui a faim, texte qui, d’emblée, le fit connaître) à 2005 (parution de Là, et pas là) montre la force et la belle énergie qui s’affichent (malgré les désillusions, les silences et les pirouettes désabusées) en permanence au cœur de l’œuvre.
L’aventure se situe bien dans la langue, celle-ci étant d’abord déliée, tonitruante, proche de l’oralité puis peu à peu ramassée, concise, serrée tout en restant nerveuse, rageuse et claquante. Aventure au long cours. Keineg s’en explique dans une étonnante (et détonante) préface (« en vieillissant on ne renonce pas : on aiguise ses armes », dit-il). Sans concession, avec une patience d’abeille et, régulièrement, d’inévitables constats, des pieds de nez, des flèches courtes et précises.
« Les poètes d’aujourd’hui doivent s’expliquer. Parfois les explications sont lumineuses ; souvent je les trouve barbantes. »
« Puisque toute vie est un échec, échouons toujours mieux. »
Keineg aime réactualiser le passé à sa manière, transformant Boudica en « pin-up des poids lourds » ou imaginant « georges perros au paradis » emportant « kafka sur sa moto ». Il aime, de même, interroger les mythes. Qui ne s'en sortent jamais à bon compte. Il le fait avec subtilité. Cela lui permet de relier les époques en un éclair et de visiter ce « pays hirsute » où dans les « hameaux à plat ventre, les hommes saouls dorment suffoqués » en notant peu de différences au fil des siècles. Les mythiques Dahut, Taliesin ou Boudica l’accompagnent et traversent à ses côtés de nombreux champs de pommes de terre pour se rendre Chez les porcs, dans cette micro-société qui ressemble tant à la nôtre :
« Je tire mes informations d’un monde disparu où la vie des porcs faisait l’objet de commentaires monotones le soir autour du feu. Comment dire la souffrance dingue des porcs d’aujourd’hui ? Ma lointaine enfance, qui n’est pas celle que vous croyez, je l’ai peuplée du porc universel. »
Le parcours hors norme de Keineg, de Bretagne en Amérique, passant, écrivant, rêvant d’une langue à l’autre, et comprenant aussi que « toute langue est étrangère », ce parcours opiniâtre qu’il ne peut s’empêcher de (sans cesse) relativiser (« ô vous / que la poésie exalte / comme vous avez raison / de me tourner le dos ») devient ici non seulement très perceptible mais également accessible à ceux qui n’ont pas pu lire les premiers ouvrages, tous épuisés. C’est une somme de grande densité que l’on peut désormais partager.
Cela dit, Les trucs sont démolis (l’expression est empruntée à Tristan Corbière) ne représente qu’une partie du travail de Paol Keineg. Il reste, à côté de l’immense bloc poétique, un autre pan à (re)découvrir. Celui de son théâtre. Autrement dit celui du Printemps des bonnets rouges (qui fut mis en scène par Jean-Marie Serreau), celui de Dieu et madame Lagadec, celui de Anna Zéro et de Terre Lointaine (mis en scène par Annie Lucas et le théâtre de Folle pensée).
Paol Keineg : Les trucs sont démolis, coédition Le Temps qu’il fait et Obsidiane.
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