C’est en bordure d’océan que l’on a le plus de chance de rencontrer
Marc Le Gros. Ce n’est pas la pleine mer qui l’attire mais bien
l’estran, la bande côtière, ce lieu où l’homme peut prendre, durant
quelques heures par jour, la place laissée momentanément libre par
l’eau. L’endroit regorge de bestioles fabuleuses, pour la plupart
succulentes, qui vivent et bougent (ou dorment, ou font semblant) au
ras du sol et parfois même en dessous, quand ce n’est pas collées aux
rochers qui ne se découvrent qu’à marée basse. Celles-ci se nomment
palourde, moule, couteau, bernique, huître, homard, crevette ou
bigorneau. Ce sont les familières de l’estran. Ce sont aussi les
personnages du théâtre iodé que Marc Le Gros met en scène. Il
procède par tableaux et présente chaque intervenant avec tact, y
associant de belles références littéraires ou picturales.
Son envie de faire partager sa quête de l’infiniment petit, son impeccable curiosité et ce plaisir, simple, de vivre, un temps, (celui de la pêche à pied précédant celui de la table) loin des tracas quotidiens restent des règles de sagesse qu’il applique au fil de ces chroniques où l’érudit qu’il est n’en rajoute jamais.
« La matière qui nous meut n’est pas savante, elle est légère et il
n’est pas indifférent que les mots et les choses, l’humeur et la forme
parfois consonent et aillent, autant que faire se peut, du même pas. »
Cet équilibre avec la matière et ce qu’elle suggère de découvertes
émerveillées tient autant à sa propre histoire et à ses attaches
géographiques (à la présence indéfectible en sa mémoire de sa grand-mère Laurencine Colleter et du petit port de Térénez en baie de Morlaix)
qu’à ses multiples voyages, effectués toujours cap au sud, à la
découverte de pays à larges façades maritimes.
« Le sud de l’Europe connaît bien les couteaux. On trouve fréquemment les navajas
ou plutôt les navelles proposés aux étals de la Boqueria de Barcelone.
Les adultes sont consommés à la « planxa », les juvéniles plutôt
destinés aux bars à tapas de la ville. Mais on les rencontre aussi sur
les marchés des petits ports d’Algarve où on les vend en bottes,
ligotées de raphia comme les asperges. »
Chez Marc Le Gros, l’air de la mer et les marches le long des grèves
creusent l’estomac. Cela ouvre l’appétit. Ceux qui le suivent ne peuvent
s’empêcher de penser à la prochaine dégustation des petites bêtes
récoltées par le bassier. Sur ce point, comme sur les précédents, qui
associe mots et mets, il ne manque pas de goût. Il sait cuisiner,
agrémenter, arroser tout en restant gourmet, se référant, si besoin, à
l’expérience de quelques uns de ses écrivains de prédilection. Songeant
ainsi à Mandiargues mangeant les couteaux crus, « arrosés de jus de
citron vert » lors de ses petits déjeuners avec Bona à Venise. Ou à
Lampedusa, l’auteur du Guépard, évoquant « le corail des langoustes bouillies vivantes, un corail qui seul, suprême élégance, était consommé. »
Avec Petites chroniques de l’estran, où l’anatife et l’anomie côtoient la coquille Saint-Jacques et l’araignée, Marc Le Gros clôt, presque à regret tant la palette semble inépuisable, le triptyque qu’il avait commencé avec Éloge de la palourde et poursuivi avec Marée basse.
Marc Le Gros : Petites chroniques de l’estran, éditions L’escampette.
Marc Le Gros : Petites chroniques de l’estran, éditions L’escampette.
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