L’enfant qu’il fut – à l’orée des années cinquante – n’a pas été long à
prendre la mesure de son environnement immédiat et à comprendre à qui,
et à quoi, il allait devoir faire face. Quelques regards bien appuyés
lui suffirent pour apercevoir tout autour les adultes à l’œuvre. Ici
des donneurs d’ordres et de leçons, là d’intrigants optimistes capables
d’inoculer le virus du cafard pour l’éternité à quiconque croiserait
malencontreusement leur route (et leur rire), ailleurs les relégués, les
taiseux, les plus vieux qui, ne pouvant suivre la cadence, se
trouvaient contraints d’achever leur chaotique aventure en se cachant
au fond de quelques pièces ou débarras très sombres. Voilà le
désespérant tableau qui s’offrit de prime abord à celui qui, se
frottant les yeux puis le cœur au gant de crin, en vint à admettre que
la vie en ces contrées mornes et malsaines ne serait possible qu’à
condition de trouver et d’affûter ses armes, en l’occurrence les mots,
qui étaient là, disponibles, Rimbaud lu et relu l’y incitant, à sa
portée, prêts à l’aider à dresser quelques constats puis à ouvrir des brèches.
« Je vis bien ainsi, debout, et parlant aux absents du bout de mes
doigts tachés d’encre. De plus en plus faisant confiance à la poussière
pour fixer les phrases que j’adresse aux choses. »
Être lucide et désenchanté, l’écrire, détecter les raisons précises
de cet état de fait, en revenant aux sources (à cet « os très dur à
passer » qu’est l’enfance) en vue de se mouvoir malgré tout dans ce
monde, n’empêche pas, les textes brefs de Pierre Autin-Grenier en
attestent, de trouver en soi assez d’énergie (celle du désespoir) et de
souffle (celui de la révolte) pour les transmettre aux autres. Il dit ce
qu’il doit à « la nuit fraternelle » qui referme chaque soir la page
d’un jour terne, ce qu’il apprend des nombreux animaux qui traversent
son livre, ce que chaque instant vécu intensément et non dans l’attente
du suivant lui dicte de sagesse, ce que les absents qui reviennent le
visiter à l’improviste lui offrent de simplicité ancestrale et de
respect envers les choses, les murs, les meubles, les arbres. C’est en
faisant provision de tous ces présents nichés au plus profond des
mémoires qu’il fourbit ses armes et réussit à s’immiscer dans les Histoires secrètes de ceux qui, comme lui, avancent et résistent, tête rentrée dans les épaules, sans jamais abdiquer.
« M’animent encore un peu dans cet amour des choses et maléfices des
mots le pessimisme des tendres, l’éternelle mémoire des amis morts et le
malheur des petits mômes otages de la tristesse des banlieues. »
Ce livre, publié à l’origine en 1982, forme avec Jours anciens (L’Arbre, 1980), Les Radis bleus (Le Dé Bleu, 1991, réédité en Folio) et Chroniques des faits (L’Arbre, 1992) le socle de l’œuvre de Pierre Autin-Grenier.
La forme courte, le pessimisme ardent, le quotidien désacralisé et la
langue saccadée, mordante et maîtrisée que l’on y retrouve préfigurent
les livres à venir, notamment Je ne suis pas un héros, Toute une vie bien ratée et L’Éternité est inutile
(L’arpenteur). Tout est déjà en mouvement dans cet ensemble que
l’éditeur présente, à juste titre, comme un « petit traité du
désespoir ». Très convainquant. Réconfortant et requinquant.
Pierre Autin-Grenier : Histoires secrètes, éditions La Dragonne.
Pierre Autin-Grenier : Histoires secrètes, éditions La Dragonne.
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