Il n’y a apparemment pas de coyote en vue. Mais une ombre mouvante,
portée par des légendes venues d’ailleurs, pourrait très bien s’insérer
dans les imaginations et valider ainsi sa présence dans les parages.
D’autant que le territoire s’y prête. Il est conforme à celui que l’on
découvre régulièrement dans les poèmes de Pascal Commère. Il est
vallonné, boisé, parsemé de pâtures, de petites routes, de champs de
vigne, de cours de fermes. Il est surtout habité. Et modelé par le
travail de ceux qui y vivent avec leurs bêtes, leurs troupeaux. L’hiver,
leurs tracteurs impriment des traces de pneus sur les sols gorgés
d’eau et de boue.
« La courbe des fumées là-bas, vignes
tirées à quatre épingles maintenant
qu’a cessé la pluie ses traits roides.
Traversé au matin le petit pays tourne
comme les ailes des éoliennes entre les arbres,
paysage toujours à reprendre et qui demeure
au bord du vide »
tirées à quatre épingles maintenant
qu’a cessé la pluie ses traits roides.
Traversé au matin le petit pays tourne
comme les ailes des éoliennes entre les arbres,
paysage toujours à reprendre et qui demeure
au bord du vide »
Ce pays, Pascal Commère l’arpente en écriture. Il le soupèse, le met
en mots, adapte ses sonorités rugueuses, interroge les terres et les
talus. Il le saisit au fil des saisons. Il en extrait les rituels et
l’animalité, la glaise et la poussière, des bouts de mémoire et des
faits liés à l’air du temps. Il s’attache au sort des bestiaux qui
broutent dans l’enclos ou que l’on transporte de nuit dans des camions
qui beuglent sur les routes départementales. Il les observe. Les entend
cogner le sol. Surprend la placidité des taureaux, immobiles, en
attente d’une odeur, d’un déclic avant de s’élancer, tous muscles
tendus.
« dehors dans les pâtures où, flanc contre flanc, massés
inséparables, ils se rangent à l’auge, énormes
et comment dire, encolures touche à touche, le pelage
assombri quand la race le veut clair, bouddhas
que neige sale vent d’hiver maculent tels ils sont
en saison de luttes, couverts de suie, au point
de rappeler, petit matin à peine (quand l’ombre
sur le roc épaissit les contours), ces ancêtres
fougueux »
inséparables, ils se rangent à l’auge, énormes
et comment dire, encolures touche à touche, le pelage
assombri quand la race le veut clair, bouddhas
que neige sale vent d’hiver maculent tels ils sont
en saison de luttes, couverts de suie, au point
de rappeler, petit matin à peine (quand l’ombre
sur le roc épaissit les contours), ces ancêtres
fougueux »
Il relie ce qui vient du fond des âges à ce présent qu’il décrit avec
justesse, par bribes, ici, « un parking de camions près d’un restaurant
routier en semaine l’hiver », là, « un brûlot de fin de chantier » avec
cabanes, va-et-vient de voitures et « gamines de Bucarest débarquées de
nuit en lisière des forêts d’État », ailleurs, tous ces « instants
passés à traduire / en chiffres les flux et reflux d’entités mesurables –
entrées / et sorties, telle que l’exige la loi marchande ». Cela le
renvoie au temps (pas si lointain) de son activité comptable, quand il
côtoyait de près quelques uns de ceux qui apparaissent furtivement dans
son livre, dispersés dans ce vaste territoire au-dessus duquel volent de
nombreux oiseaux, corbeaux ou bernaches mais aussi ces milliers
d’étourneaux qui déplient leurs filets noirs loin des pâles des
éoliennes pour tomber, en averse de grêle, dans les arbres à la tombée
de la nuit.
Pascal Commère : Territoire du Coyote, éditions Tarabuste
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