Depuis la mort de la mère, le père et le fils cohabitent. L’un vit
en haut et l’autre, le plus âgé, occupe le bas de la maison. Ils
partagent peu, à part leur solitude, les repas et un peu de programme
télé le soir. La peur les paralyse.
« On a peur, peur d’être ensemble, peur d’être seuls, et cela nous perturbe. »
Un jour, et c’est ici que s’ouvre le récit, un bruit inhabituel se
fait entendre au rez-de-chaussée. Le fils a entendu un choc, la chaise
qui tombe, le corps qui suit. Et puis, plus rien. Juste le silence qui
pèse. Il n’ose bouger. Reste couché sur son matelas posé à même le sol,
sous la lucarne. Il sait que le père a chuté. Qu’il ne s’est pas
relevé. Qu’il est sans doute mort. Le soir, il se décide enfin. Il
entreprend une descente, marche après marche, lentement, à pas de
velours, jusque dans la cuisine où il trouve en effet le père mort.
« Surtout ne toucher à rien. La chaise renversée ne sera pas relevée.
Mademoiselle Félicie doit venir demain, pour le ménage et la toilette
de Pap, et demain elle trouvera Pap refroidi, raide. Quant à moi, me
voilà pour de bon orphelin, orphelin complet. »
Il réintègre son repère. Il y passera la nuit. Il laisse sa pensée
vaquer. Se remémore quelques scènes du passé, avec le père, la mère.
Revoit l’enterrement de celle-ci. Et finit par s’endormir. C’est lui le
chat. Qui raconte son repli à l’étage. Qui sursaute au moindre bruit et
qui, le matin suivant, perçoit tous ceux, inhabituels, qui se
répercutent de la cuisine à la chambre du père. Il entend l’exclamation
de la femme de ménage et l’arrivée, peu après, des hommes qui
constatent le décès. Il lui suffit de bien tendre l’oreille pour savoir
qu’ensuite on relève le corps, on le lave, on l’habille, on l’installe
dans son lit. Il écoute mais ne bouge pas. Si on l’appelle, il fait le
mort. Il ne sort de sa planque que le soir, quand il n’y a plus personne
en vue. Il va procéder ainsi trois jours durant. C’est à peine s’il
consent à se montrer, restant à mi-chemin entre le haut et le bas,
agrippé à la rambarde, juste avant que le cercueil ne parte.
« Félicie s’est avancée jusqu’au pied de l’escalier, et je comprends
qu’elle n’a pas renoncé à me serrer contre elle. Est-ce à ce moment que
je prends conscience du silence, et par conséquent des bruits, des
bruits de pas ? De celui, martelé, des porteurs, comme de celui, plus
feutré, des femmes qu’ils laissent passer en s’écartant ? Pas de quoi
sangloter suffisamment pour accepter de descendre d’une marche
supplémentaire. »
L’histoire que déroule ici Raymond Penblanc, avec minutie, concision
et efficacité, est à la fois prenante et troublante. Elle dit la peur,
l’isolement, la réclusion d’un être qui n’a plus assez de force pour
réagir comme il le faudrait. Elle dit également cet effarement et cet
effacement permanent qui font que le seul lieu où il se sent à peu près à
l’abri du monde extérieur reste ce perchoir transformé en poste
d’observation.
« La tête me tourne. L’air est vif, le ciel parcouru de nuages, la
route déserte. Tout cela me saoule et m’attire. Je sens que j’ai besoin
de marcher, là, tout de suite, pas loin. »
C’est ainsi que l’on quitte le chat. Qui en a terminé avec ses trois
jours de deuil vécus d’une façon un peu particulière. Trois jours
retracés heure par peur par un écrivain qui excelle dans la forme courte
et qui parvient à rendre présents des personnages que l’on ne voit pas,
que l’on devine simplement, occupés près du père mort, au
rez-de-chaussée de la maison. C’est un récit vif, implacable,
millimétré.
Raymond Penblanc : Les trois jours du chat, éditions Le Réalgar.
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