Il y a là Mél., qui fait la manche à l’entrée du Market +, Oumar, le vigile du magasin, Cécile, prof dans un lycée, Katia, qui vend son corps à des types plutôt aisés, RE:AL, qui donne de l’éclat aux murs dès que la nuit tombe, Rrezon, qui a dû fuir son pays et qui livre des repas à domicile, Raton, le rat dominant qui règne en maître avec sa petite bande dans les sous-sols de la ville, Dédé, le S.D.F. qui disparaîtra bientôt, kidnappé par une bande de laveurs de cerveau et de bourreurs de crâne qui sillonnent les rues en estafette rouge, Jean-Christophe, le jeune cadre dynamique qui papillonne à droite, à gauche pour satisfaire ses appétits sexuels et d’autres solitaires, tel cet homme qui a décidé de frapper fort (de mourir mais pas seul) et dont les caméras retracent, après coup, les étapes de sa virée mortifère.
« Il n’existe plus déjà lorsque la porte de l’immeuble claque
derrière lui. Il ne reviendra pas en arrière, on ne l’arrêtera plus. Sa
décision, si c’en est une, si ce n’est pas autre chose, est irrévocable,
mûrie de longue date – pensée, anticipée, répétée.
Par lui ou par d’autres. »
Tous ces êtres, suivis au jour le jour, s’activent, se croisent ou se rencontrent, chacun portant sa vie, ses espoirs, sa peine, ses désillusions dans un environnement quadrillé. Tous aimeraient ouvrir les fenêtres, vivre pleinement, envoyer valdinguer principes, us et coutumes et créer du collectif pour mettre fin à cet individualisme qui devient, de fait, la seule échappatoire possible. C’est peu dire qu’il y a de la colère dans l’air. De la violence rentrée. Un feu qui couve et qui finira bien par prendre. L’acronyme P.R.O.T.O.C.O.L, pour peu que l’on parvienne à le déchiffrer, et à le propulser plus loin que les murs, annonce peut-être cela.
En attendant, la patience est de mise. Pour en savoir plus, il faut se laisser guider par l’imposant et épatant roman de Stéphane Vanderhaeghe, par sa prose dense et fouillée, par ses différentes strates d’écriture, par son exploration, à travers les pérégrinations de personnages attachants, des failles d’une société en crise. Personne ne passe à travers les mailles du filet invisible qui est tendu au-dessus de la ville. Personne sauf Raton qui, dégustant, en fin d’ouvrage, un repas de choix dans les souterrains, apostrophe ses congénères. Et peut-être aussi, par ricochets, ceux qui s’agitent en surface.
« Pendant que Raton faisait une partie de cache-cache, l’un des leurs s’était fait chopé au camp. Truc à la con, piège classique. C’était Raton qui était visé, décidément. Il faisait le fier pourtant, jouait les durs, je vous l’avais dit de faire profil bas, de vous méfier, regardez-vous, des siècles d’évolution et ça ne vous a rien appris ? Laissez-moi rire. »
Stéphane Vanderhaeghe : P.R.O.T.O.C.O.L.,Quidam éditeur.
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