Il fallait peu d’espace à Pierre Autin-Grenier (un quart de page tout au
plus) pour envisager un décor, un climat, un personnage, une énigme.
Ainsi l’ange du titre... Il existe bien sûr. Il a même dû, un temps,
voler, planer, s’amuser à passer en rase-mottes au-dessus des ronces
avant de faire entendre ses cris (“une sorte de hurlement hybride”) dans
le silence d’un soir.
« Ce soir-là, voyant rentrer notre rouquin encore plus blême que de
coutume, son brûle-gueule tel un brasier en travers la mâchoire et l’œil
égaré, on avait vite saisi que la situation n’était pas nette. Il gagna
cependant son banc sans mot dire. Tendit son écuelle, fit chabrot et la
vida d’un trait. Levant le nez pour s’essuyer la moustache d’un revers
de manche et découvrant nos regards inquisiteurs, c’est alors qu’il
lâcha, terrorisé : on écorche quelque chose du côté des collines ! »
Le cri, première des huit nouvelles qui composent cet ensemble
(publié une première fois aux éditions Syros en 1990) s’attache à
déceler, à renfort de lanternes, d’affûts, de marches dans les
broussailles et de peur au ventre ce qui réellement se cache derrière ce
“quelque chose” qu’on “écorche” dans la nuit.
L’auteur, qui aimait s'assoir à sa table de mémoire, au fin fond de la Friterie-Bar Brunetti, reprend ici des chemins qui lui sont familiers et que l’on sillonnait déjà dans ses premiers livres, notamment dans Jours anciens (Éd. L’Arbre, 2003) et Histoires secrètes
(La Dragonne, 2000). Ces chemins se transforment volontiers en sentiers
puis en rigoles ou travées qui mènent aux frontières de l’étrange et du
fantastique, pas loin parfois d’un univers que n’aurait pas désavoué
l’un de ses ex-voisins du Vaucluse, André de Richaud, au creux d’un
monde obscur et primitif où Autin-Grenier s’était aménagé un secret et
très personnel pied-à-terre. Il pouvait, retour du Grand Café où il avait ses
habitudes, y donner rendez-vous à des barbares ou à des banlieusards, y
croiser des fantômes ou des déménageurs, y porter des valises chargées
d’air pur ou y cacher une moto volée...
« Rien de mieux qu’une moto ! Albert Londres avait une moto,
Hemingway aussi, Blaise Cendrars et Henry Miller, même Bernanos avait
une moto, on m’a dit ! »
Il pouvait surtout, dans ces lieux où le temps semble s’être arrêté un
jour de drame familial ou de mort bancale, donner libre cours à ses
penchants sombres en les ponctuant d’une dérision salutaire, prompte à
relativer ces débuts de blues en perçant d’une simple pointe d’épingle
(et d’humour) les encombrantes baudruches du désespoir.
« J’ai tué mon père en cinquante-deux. Eu égard à mon jeune âge, cela
ne tira pas à conséquence pour moi. La flèche serait partie seule en
somme, c’est le ressort de l’arbalète qui, par hasard, aurait lâché...
C’est ce qu’on dit. Tout le monde, au village, s’accorda pour penser que
nous ne sortions pas du fait-divers, certes tragique mais, somme toute,
ordinaire. L’enterrement fut de haute tenue, notre famille fit preuve
d’un esprit de corps peu commun... »
L’Ange au gilet rouge, surpris en train de battre la
campagne, nous permet de suivre quelques unes des histoires
peu communes d’un clown triste qui attend - huit fois de suite - le
dernier moment (et la dernière phrase) pour chausser ce fameux nez
écarlate en plastique qui fera toujours - quoiqu’il lui en coûte -
préférer la pirouette aux larmes.
Pierre Autin-Grenier : L'Ange au gilet rouge, L'Arpenteur / Gallimard.
Un bel hommage est rendu à Pierre Autin-Grenier dans le n° 162 de la revue Décharge. Casimir Prat, Louis Dubost, Colette Andriot, Jean-Louis Massot (qui vient de rééditer Chroniques des faits aux Carnets du Dessert de Lune), Thomas Vinau, Georges Cathalo, Claude Vercey et Jacques Morin évoquent l'homme, l'ami, le chroniqueur, l'écrivain qui a faussé compagnie à tout son monde en avril dernier.
Pierre Autin-Grenier : L'Ange au gilet rouge, L'Arpenteur / Gallimard.
Un bel hommage est rendu à Pierre Autin-Grenier dans le n° 162 de la revue Décharge. Casimir Prat, Louis Dubost, Colette Andriot, Jean-Louis Massot (qui vient de rééditer Chroniques des faits aux Carnets du Dessert de Lune), Thomas Vinau, Georges Cathalo, Claude Vercey et Jacques Morin évoquent l'homme, l'ami, le chroniqueur, l'écrivain qui a faussé compagnie à tout son monde en avril dernier.