Auguste est seul dans sa chambre. Il regarde dehors. Voit désormais
le monde à travers la buée d’une vitre. Chaque carreau de la fenêtre
derrière laquelle il est posté pourrait très bien contenir l’un de ces
carrés de prose qui retracent les séquences de son passé. Il y en a une
bonne centaine.Toutes d’une incomparable netteté. Les visionner ne le
rend pas triste. Faire le mur dans sa tête l’aide au contraire à
retrouver Blanche, qui fut sa femme. Il la repère, soixante-dix plus
tôt, dans la cour de l’école. Ou, des années plus tard, affairée dans la
cuisine. Ou encore au creux du fauteuil où il avait posé, pour un
ultime face à face au salon, l’urne qui contenait ses cendres.
« Ils s’étaient jurés de ne jamais se séparer. Auguste a tenu
promesse. Même aujourd’hui dans cette "maison de vieux" comme il dit,
ils sont toujours ensemble. »
La nostalgie ne le prend pas par surprise. Il la stimule et lui
demande d’être efficace. La fin de partie ne va plus tarder et il est
encore temps de réveiller en lui le conteur qu’il fut. De revoir – et
de remettre en situation – le grand-père Roumain et tous les
villageois, ses proches, ses amis disparus qui le saluent du fond de
leur absence. Auguste s’attelle à des faits infimes. Il procède avec une
humeur presque légère. Son regard reste pétillant. Son désir d’évasion
aussi.
« Auguste sort de son silence. Ses enfants et petits-enfants sont
venus lui rendre visite. Le conteur qui est en lui le déborde. Il finit
par céder. Rafraîchit sa mémoire d’avant-sieste. Se repasse une histoire
qu’il contait jadis. Réajuste quelques menus détails en secret dans
lui-même... et commence... »
La vie en maison de retraite ne diminue en rien sa capacité à rester réfractaire jusqu’au bout. Avec malice et intelligence.
« "Me suis-je trouvé réellement à 18 heures dans la rue des fenêtres
vertes ?", demande Auguste au tailleur beige de la directrice. Mais le
tailleur beige ne semble pas connaître Yves Martin. La directrice non
plus. »
Auguste, dont Pierre Soletti
invente et déroule la vie en une succession de tableaux simples et
concis, est un personnage plein de tendresse et de bon sens, doté d’un
naturel revigorant. On en oublierait presque (mais pas lui, qui s’en
échappe en ouvrant constamment des brèches dans sa mémoire) le lieu où
il se trouve, là où ses enfants, renversant en quelque sorte les rôles,
l’ont un jour amené, comme lui le faisait jadis avec eux, quand il les
accompagnait à l’école.
Pierre Soletti : Auguste ne sait plus grand-chose du monde, illustrations de Sylvain Moreau, Coédition Écrits des Forges / Maison de la poésie de Tinqueux.
Auguste ne sait plus grand-chose du monde, mise en scène par Mateja Bizjak Petit, a notamment été joué à Avignon, au festival off en juillet dernier.
Auguste ne sait plus grand-chose du monde, mise en scène par Mateja Bizjak Petit, a notamment été joué à Avignon, au festival off en juillet dernier.