lundi 18 janvier 2016

Pas Liev

Liev est un personnage étrange et déroutant. Brosser son portrait paraît de prime abord difficile. On fait sa connaissance à l’instant même où il descend d’un car, se retrouvant dans un paysage qui a des allures de morne plaine et où personne, à part un homme à vélo qui s’arrête pour lui demander ce qu’il fait là, ne semble vivre. L’inconnu le rassure néanmoins en lui disant qu’il est sur la bonne route et que le village de Kosko, où il se rend pour prendre ses fonctions de précepteur, n’est plus très loin.

« On n’avait pas l’air d’attendre Liev à Kosko. La femme qui l’avait introduit à "l’office", comme elle disait, ne semblait pas savoir qui il était ni pourquoi il était là. »

Le problème, et cela le déçoit, c’est que les enfants ne sont pas présents. Ils sont en vacances et n’arriveront que plus tard. Liev, qui pense beaucoup, et qui retourne chaque mot ou expression dans sa tête pour tenter de bien comprendre ce qu’on lui dit, imagine qu’ils viennent sans doute de contrées lointaines et qu’il leur faudra encore un peu de temps avant de rejoindre Kosko. En attendant, on l’emploie comme sous-intendant. Il doit recopier des factures dans un registre. La vie s’organise doucement. S’il se laisse volontiers porter par les événements, il n’en demeure pas moins attentif aux détails qui rythment son quotidien. Son esprit d’escalier est mis à rude épreuve. Il y a un décalage constant entre sa perception des faits et la réalité elle-même. En fait, tout se passe comme si Liev vivait à la place d’un autre. Qui serait Liev et pas Liev.

Et c’est justement ce genre d’interstice que Philippe Annocque aime visiter. Celui-ci, il le suggère et s’y glisse avec subtilité. Liev, qu’il invente sous nos yeux, a une personnalité peu commune. On la découvre au fil du texte. Il s’avère peu bavard. Semble avoir de sérieux problèmes avec la logique. Ne sait jamais si on lui veut du bien ou du mal. Il subit plus qu’il ne décide. Il va pourtant vivre à Kosko une grande histoire d’amour. C’est en tout cas ce que l’on peut penser en apprenant qu’il s’est fiancé avec Mademoiselle Sonia, la fille de la maison. Mais rien n’est vraiment avéré. Tout est sujet à caution. C’est là la force du roman. On en vient forcément, à un moment donné, à se demander qui est ce Liev qui reste étrangement à distance de presque tout ce qui lui arrive. Est-ce un rêveur, un absent, un malade, un homme naïf mais dangereux, un fabulateur, un schizophrène ? La réponse, cinglante et inattendue, viendra en fin d’ouvrage. Clôturant un livre rare et épatant. On en sort sonné et admiratif. Heureux d’avoir ainsi été porté, et transporté, en territoire inquiétant par l’impeccable virtuosité de Philippe Annocque.


 Philippe Annocque : Pas Liev, Quidam éditeur.


2 commentaires:

  1. Bonjour Jacques. Envie de lire, de découvrir ce Pas Liev - ou pas !

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    1. Serge, c'est un excellent livre. Le meilleur (à mon avis) de la cuvée d'automne 2015.

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