S’il est une poésie dont on parle peu, c’est bien celle qui met en
lumière le sentiment amoureux. Elle est souvent décriée, jugée désuète,
et ce d’autant que le lyrisme, qui ne bénéficie pas, lui non plus,
depuis plusieurs décennies, d’un préjugé favorable, y virevolte en
terrain conquis. Elle est pourtant de toutes les époques. Elle a su se
réinventer. Elle a abandonné (Eluard et Breton d’abord et, plus près de
nous, Pierre Peuchmaurd, n’y furent pas pour rien) le savoir-faire répétitif qui la
menaçait pour s’en remettre à l’instinct créatif, à la singularité des
métaphores et à la sensualité d’un bestiaire étonnant. C’est dans ces
contrées subtiles, entre suggestion et désir de grande osmose que
naissent les poèmes de Joël Cornuault. C’est là qu’il œuvre pour que
l’harmonie avec celle qu’il aime et qui partage ses jours puisse
s’exprimer pleinement et que leurs zones sensibles, érogènes,
s’électrisent en fusionnant à hauteur d’herbe ou de fourré.
« Suis-je tes jambes ou suis-je un rêve ?
Ce sont des grives belle joueuse
des miroirs d’herbe sensible
des miroirs d’herbe sensible
des mésanges à la remontée
les rêves tes jambes
tes jambes de loup des fourrés
forfaits de fougères tes jambes
ou vérifications de velours
tes jambes de loup des fourrés
forfaits de fougères tes jambes
ou vérifications de velours
et je les écarte comme des rêves gagnés
c’est extraordinaire
que je les écarte comme des lanières
de lait de lune »
c’est extraordinaire
que je les écarte comme des lanières
de lait de lune »
Joël Cornuault est à l’affût. Il guette l’enchantement. Pour que
surgisse l’inconnu qui remue en lui. Pour que s’aiguise son imaginaire.
Pour que les mots s’accouplent et dépassent leur sens premier. Pour que
leurs sons s’assemblent en suscitant des cascades sonores. Il n’est pas
seul. Dit son bonheur d’être deux. De partager (en présence des
étoiles, des oiseaux, des éléphants, des pierres ou des rivières) des
moments que nulle horloge ne peut saisir. Des instants vécus hors du
temps. Et néanmoins perçus en pleine conscience.
« Si seulement j’étais moi-même
ou toi-même
tout le temps
afflueraient les étoiles filantes
qui chassent les images plombantes
ou toi-même
tout le temps
afflueraient les étoiles filantes
qui chassent les images plombantes
J’admettrais la différence
entre tes belvédères accueillants aux alouettes
et mes pâleurs de réverbères
entre tes belvédères accueillants aux alouettes
et mes pâleurs de réverbères
surtout si j’étais toi-même
tout le temps »
tout le temps »
En fin de livre, en une dizaine de pages, l’auteur (par ailleurs
traducteur de Kenneth Rexroth) revisite, dans un texte intitulé De la lyrique amoureuse,
la longue histoire de ces chants d’amour (partagés, déçus ou
contrariés) qui ont traversé les siècles (depuis Sapho, bien avant l’ère
chrétienne) en se revivifiant, en s’adaptant et en gardant intacte leur
effervescence initiale.
Joël Cornuault : Tes prairies tant et plus, dessins de Jean-Marc Scanreigh, éditions Pierre Mainard.
Joël Cornuault : Tes prairies tant et plus, dessins de Jean-Marc Scanreigh, éditions Pierre Mainard.
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