vendredi 22 mai 2020

Antoine Emaz et James Sacré

En plus de l’amitié, c’est une belle complicité poétique qui unissait Antoine Emaz et James Sacré. La mort du premier, en mars 2019, est venue l’interrompre. Jusque là, chacun poursuivait son œuvre tout en suivant de près celle de l’autre. Existait entre eux une attention réciproque. Un besoin de partager des doutes, des questionnements essentiels et de nombreuses incertitudes en tentant d’y trouver des éléments de réponses dans leurs poèmes. Leur dialogue à distance était fructueux. Ils évoquaient régulièrement l’écriture de l’autre, çà et là, au hasard de leurs interventions en revues. Ainsi Antoine Emaz, dans Amastra-N- Gallar n° 10 :

« Lire James Sacré, c’est entrer dans un monde qui, livre après livre, devient plus familier. Rien d’hermétique, aucun mépris du lecteur, alors même que cette poésie est savante, dans son ordre. James Sacré m’a montré cela, autant que Reverdy, qui notait déjà : "Pas si simple que cela, d’être simple". Il y a un travail minutieux, mais il vise la clarté, même à travers la complexité des sensations ou des sentiments. »

Et James Sacré, Dans la parole de l’autre (Plis urgents n° 48, éditions V. Rougier) :

« Quelqu’un écrit des livres. Comme beaucoup d’autres gens. Mais tu rencontres ceux-là, les livres d’Antoine Emaz. Comment tu les as rencontrés ça n’a pas trop d’importance et ça n’explique rien. Toute rencontre est un hasard (même si le hasard a cheminé par des voies qui semblent, après coup, avoir été préparées). Ce qui étonne c’est que la rencontre brille, ou qu’elle dure. C’est à cause des livres, à cause éventuellement du visage et des façons d’être de celui qui les écrit. À cause de moi ? Oui, sans doute aussi, à cause de mes propres livres : ils entendent dans ceux d’Antoine Emaz une amitié. Une amitié comme une grande tape solide qui remettrait d’aplomb un laisser-aller (heureux, à bon compte sans doute) de mon écriture. »

L’un et l’autre n’avaient jamais encore été réunis (si l’on excepte la remarquable préface donnée par Emaz pour Figures qui bougent un peu, poésie Gallimard) dans un même ouvrage. C’est, depuis quelques mois, chose faite grâce aux éditions méridianes et à sa collection Duo. Le livre regroupe deux suites de poèmes : Sans place d’Antoine Emaz et Je s’en va de James Sacré. C’est un paysage de bord de mer, par temps calme et air vif, dans la lenteur des vagues et sous le bleu d’un ciel lumineux, qu’interroge Antoine Emaz. :

« silence
sauf le vent

rien n’a lieu
sinon des nuages parfois
des vagues

avec des yeux de sable
peut-être
on pourrait raconter


non
ce qui se perd ici

ce n’est pas du vivant
ou du mort
seulement du temps
pour personne »

James Sacré lui répond en faisant bouger sa mémoire, en lui offrant d’autres paysages, portant réconfort à celui qui vient d’exprimer son impossibilité à se trouver une place dans l’immensité de sable, de mer, de ciel qui l’entoure.

« Des souvenirs sont dans la tête, y font
Un léger bougé de vie couleurs.

On ne sait pas ce qui tient,
mais quelque chose de continué :
Tel sourire au loin dans un chandail de laine bleue
La clarté d’un regard sur le Ponte Vecchio à Florence
Le jardin qu’on vient d’y travailler.

Aujourd’hui
Quelque chose de continué tient
Pour jusqu’à demain,

(Qu’on se dit). »

Ce livre est précieux. Les apparences ne leur suffisent pas. Il leur faut creuser, détecter, déceler. Voir ce qui se cache en dessous. Résister, borner le temps qui leur est imparti. Faire confiance aux mots.

Antoine Emaz : Sans place, James Sacré : Je s’en va, éditions méridianes.
.
Logo : Antoine Emaz et James Sacré au café-librairie "Le papier timbré" à Rennes, le 20 mars 2010, photo : Françoise Bauduin.

1 commentaire:

  1. Toujours intéressant un dialogue au fil du temps entre poètes. Dans la poésie de l'autre, en lisant l'autre en poète, on élargit sa propre écriture. Merci Jacques de cette note.

    RépondreSupprimer